Pour bien commencer l'année un bon gros pavé
Le violon intérieur
Dominique Hoppenot
Éditions Van de Velde 1981
Apprentissage du violon
254 p
https://www.abebooks.fr/rechercher-livr ... -occasion/
Je m'excuse par avance, mais je vais être un peu long. C'est "Le" livre majeur sur la pratique du violon. Il mérite donc de prendre du temps.
Ce traité de violon commence par la définition de ce que Hoppenot appelle "Le mal du violon". Cela lui permet de faire une rapide analyse des approches méthodologiques et de leurs travers. Ainsi que des différents types de violonistes et de leurs motivations.
Ensuite elle enchaîne par un plaidoyer pour la recherche d'un équilibre entre le corps et l'esprit, préalable à la libération de l'état dans lequel on peut progresser au violon. Elle mentionne des démarches similaires au yoga, dans les arts martiaux et dans des professions comme mime, funambule, danseur...
Par la suite, elle commence par redéfinir la position du corps (avant même de prendre le violon) et la relation que l'on doit avoir avec lui. Puis elle fait une analyse des postures et des impacts sur les tensions potentielles. Elle détaille les mécanismes qui doivent amener à bien tenir son violon, son archet et défini son concept de la "non-tenue des instruments".
Attention ce n'est pas qu'un manuel technique, mais aussi "intellectuel" qui se pose la question de quel geste ou posture prendre pour être en accord avec son corps et ce que l'on a en nous prêt à exprimer.
Par la suite, elle détaille son approche de concepts comme : la justesse intérieure, le rythme instrumental, la décontraction, la respiration, l'expression musicale, qu'est-ce que travailler ? Etc...
Lire ce livre après celui de Papavrami, qui est un témoignage des méthodes "mécanistes" d'enseignement qu'il a subi, est une mise en abîme intéressante. Hoppenot a une approche "intérieure" qui en est l'antithèse. Dans les années 80, cela représentait une grande originalité. Aujourd'hui encore, au moins dans le milieu amateur, de nombreux jeunes qui arrivent dans les orchestres n'en n'ont manifestement jamais entendu parlé et le violon reste pour eux un instrument de crispation et de souffrance.
Ce traité est assez unique dans son approche. Il permet d'approfondir sa pratique du violon, mais c'est plus que cela. Hoppenot nous propose ici une approche autan physique que philosophique, un peu comme le ferait un bouddhiste zen ou un maître en art martiaux. Elle vise l'accord du physique et de l'esprit au service de notre art.
Ce n'est pas un livre que l'on peut lire d'une traite, car il y a des longueurs, des choses à méditer, à tester. Puis relire et comprendre différemment avant de re-tester... C'est une invitation à la réflexion sur son propre jeu, sur sa propre approche de ce que veut dire "Jouer de la musique". À méditer et à faire mûrir avec le temps...
Cet ouvrage est à conseiller aux violonistes qui sont dans leur 3e cycle ou qui ont l'âge et le goût de se poser des questions propres à une remise en question en profondeur. À s'interroger sur le sens de leur pratique. Cela pourra les aider à passer certains caps.
Personnellement, j'ai surligné 164 passages à relire, travailler et intérioriser. Surement le travail de nombreuses années en perspectives.
------
Je vais donner ici une douzaine de citations (en excluant les parties techniques) pour vous donner un aperçu de sa philosophie :
"Dés les premiers contacts avec les musiciens qui sollicitent mes conseils, je décèle, dans une forte proportion, les signes d’une souffrance plus ou moins pudiquement dissimulée qui s'inscrit dans ce que je pourrais nommer le "mal du violon". [...] Ils développent sans même en être conscient une relation triste et doloriste avec un instrument dramatisé à l’extrême depuis le début de leurs études qui les enchaîne insensiblement dans une sorte d’esclavage."
"Nous devons prendre conscience d’une réalité très éclairante, à savoir que toute notre force est concentrée en un point, un foyer irradiant : c’est de nôtre centre de gravité, situé au niveau de la troisième vertèbre lombaires [...] que surgit toute notre énergie. La recherche des gestes justes correspond à la recherche des meilleurs courants d'énergie partant de ce lieu, susceptible de fournir au bout des doigts la sensibilité et la force dont ils ont besoin."
"Notre travail consiste en fait à libérer notre son, le son que nous possédons virtuellement, c'est-à-dire notre voix. [...] Je donne souvent à mes élèves cette image très évocatrice de l'artiste-peintre dont l'archet serait un pinceau et le son une pâte claire, vivante, prête à être modelée. La toile de l'artiste est projection de son espace intérieur, elle matérialise une ou plusieurs images mentales et les coups de pinceau ont pour rôle de rendre tangible son voyage intérieur."
"La qualité de l'écoute véritable passe d'abord par la possibilité de pouvoir écouter le silence. Seul un son issu, né d'un silence vrai, peut être pleinement entendu."
"C'est par ce que le son a une vie indépendante qu'il faut l'écouter avant qu'il soit "sorti", faute de quoi on ne peut plus influencer sa trajectoire."
"Seule la double présence de l'oreille intérieure et de l'oreille de contrôle permet d'obtenir la subtilité de la justesse."
"La notion stricte de mesure devient la lettre qui tue au lieu d'être l'esprit qui vivifie. Le rythme intérieur est en quelque sorte une organisation du temps musical basée pour l'essentiel sur deux grands éléments [...] le temps battement et le temps espace."
"Apprendre la décontraction, c'est tout d'abord [...] laisser parler son corps. [...] Celui qui ne peut laisser, sans supputer ni calculer comme un enfant, à la simple joie de ses découvertes, se ferme à une vraie décontraction."
"Notre respiration doit, en fait, prendre modèle sur celle du chanteur qui respecte le phrasé, ce qui est déjà un gage de sa compréhension du texte musical."
"Deux questions doivent guider l'interprète dés les premiers instants de sa démarche : Que dire ? Et comment le dire ? [...] La formulation d'un projet concernant l'œuvre est donc absolument nécessaire à toute interprétation. [...] C'est une grande force de pouvoir penser et construire une interprétation sans triturer l'instrument [...] et de mentaliser l'œuvre comme le font le peintre ou le sculpteur."
"La musique est faite pour être écoutée ! Bien des professeurs perdraient leur partialité s'ils s'attachaient en effet à écouter attentivement l'élève plutôt qu'à guetter d'un œil fébrile le plus petit écart dans la tenue [...] les petites particularités qui sont celles de l'élève devraient être acceptées dés lors qu'elles ne nuisent pas à la musique."
"La préparation physique au travail est donc fondamentale, [...] le violoniste devrait se concentrer, vérifier la liberté de sa respiration et recréer ses images mentales, s'assurant ainsi de son bon équilibre postural : axe vertical, fermeté des points d'appui, bras indépendants, épaules basses, bon contact avec l'instrument, oreille en éveil, main souples, bien perçues comme l'aboutissement de la pensée et de l'énergie. [...] Une telle préparation peut prendre quelques secondes seulement comme elle peut demander plus longtemps, selon le degré d'intégration du travail. Mais lorsqu'une telle mise en œuvre est réalisée, tout est à parier qu'il suffira d'un léger échauffement musculaire pour que les difficultés soient vaincues facilement avec le minimum de travail."