Une compositrice méconnue : Anna-Magdalena Bach
Publié : mar. 14 mai 2024 09:49
par François 2 » lun. juin 04, 2018 4:49 am
Le sujet de discussion sur la cinquième suite de Bach m’a incité à revoir les sources manuscrites existantes. A l’occasion de cet examen, j’ai repéré un détail qui m’avait échappé jusqu’ici (je ne l’ai d’ailleurs vu mentionné nulle part), et qui me paraît établir de façon assez nette que la seconde épouse de Bach, Anna Magdalena, ne peut pas être l’auteur des suites pour violoncelle, contrairement à la thèse fantaisiste d’un musicologue australien, qui a provoqué une petite agitation médiatique, et dont l’initiateur du présent fil de discussion s’est fait l’écho.
C’est un peu technique, et je m’en excuse, mais c’est indispensable dans une démarche argumentative un peu rigoureuse.
On connaît quatre manuscrits de ces suites, mais l’autographe de Bach est perdu. L’analyse des papiers montre que celui de Kellner est le plus ancien, suivi de près par la copie d’Anna Magdalena, puis par deux autres manuscrits plus tardifs, dénommés manuscrit C et manuscrit D.
Dans la cinquième suite, Bach demande un changement de l’accord usuel (une « scordatura ») : la corde de la est baissée d’un ton, pour sonner sol, mais la notation correspond à la position des doigts. Quand Bach écrit un « si bémol » au dessus de la portée, joué avec le premier doigt, ce « si bémol » sonne en fait un ton plus bas : la bémol.
Cette suite est en do mineur, ce qui implique trois bémols à la clé : si, mi et la. La pratique d’écriture des armures à l’époque baroque était de dédoubler les bémols de la portée : dans le cas présent, on note donc les deux si bémols et les deux la bémols (en bas et en haut). Voici par exemple l’armure de la quatrième suite (en mi bémol majeur) dans le manuscrit d’Anna Magdalena :
https://my.pcloud.com/publink/show?code ... 6SubuHCUvk
La copie de Kellner présente la cinquième suite sans la scordatura demandée par Bach ; il écrit les notes réelles. Ce n’est d’ailleurs pas une version pour violoncelle: dans le prélude, le magnifique accord de la deuxième mesure (qu’il transcrit intégralement) do – si bécarre – fa – la bémol est en effet injouable avec un accord normal.
Les trois autres manuscrits respectent la scordatura. Mais l’armure pose alors un problème : un « la » noté sur la ligne supérieure doit sonner sol naturel. Il faut donc annuler le bémol impliqué par l’armure, et Bach a écrit un bécarre sur cette première ligne, pour que l’instrumentiste joue cette corde à vide comme si c’était un la naturel.
Le manuscrit C, ainsi que les premières éditions publiées en France (Norblin 1824) et en Allemagne (Dotzauer 1825, jusqu’à Haussmann, Klengel et Becker - fin XIXe et début du XXe), présentent donc une armure avec un bécarre sur la première ligne :
https://my.pcloud.com/publink/show?code ... gvzLkqnJjk
Examinons le manuscrit d’Anna Magdalena :
https://my.pcloud.com/publink/show?code ... PzL0F4HQAk
Elle écrit tout au long de la suite une armure classique avec tous les bémols, y compris celui de la première ligne. Elle agit en quelque sorte par automatisme. Elle n’a pas remarqué le bécarre qui figurait dans la partition originale. Si c’est elle qui avait composé cette pièce, elle aurait évidemment noté cette particularité indispensable à une exécution correcte.
L’édition Bärenreiter (Wenzinger 1950, plusieurs fois rééditée) ne place pas elle non plus le bécarre à la clé, mais l’indique systématiquement devant chaque la à vide dans le courant de la partition. Anna Magdalena ne corrige rien du tout.
On pourra accessoirement remarquer dans ce début du prélude une autre erreur d’AM : alors que toutes les sources donnent un mi bécarre à la mesure 4, elle laisse un mi bémol.
Cet élément n’est évidement pas le seul qui milite contre l’attribution des suites à Anna Magdalena, mais il me paraît assez décisif par lui-même.
Le sujet de discussion sur la cinquième suite de Bach m’a incité à revoir les sources manuscrites existantes. A l’occasion de cet examen, j’ai repéré un détail qui m’avait échappé jusqu’ici (je ne l’ai d’ailleurs vu mentionné nulle part), et qui me paraît établir de façon assez nette que la seconde épouse de Bach, Anna Magdalena, ne peut pas être l’auteur des suites pour violoncelle, contrairement à la thèse fantaisiste d’un musicologue australien, qui a provoqué une petite agitation médiatique, et dont l’initiateur du présent fil de discussion s’est fait l’écho.
C’est un peu technique, et je m’en excuse, mais c’est indispensable dans une démarche argumentative un peu rigoureuse.
On connaît quatre manuscrits de ces suites, mais l’autographe de Bach est perdu. L’analyse des papiers montre que celui de Kellner est le plus ancien, suivi de près par la copie d’Anna Magdalena, puis par deux autres manuscrits plus tardifs, dénommés manuscrit C et manuscrit D.
Dans la cinquième suite, Bach demande un changement de l’accord usuel (une « scordatura ») : la corde de la est baissée d’un ton, pour sonner sol, mais la notation correspond à la position des doigts. Quand Bach écrit un « si bémol » au dessus de la portée, joué avec le premier doigt, ce « si bémol » sonne en fait un ton plus bas : la bémol.
Cette suite est en do mineur, ce qui implique trois bémols à la clé : si, mi et la. La pratique d’écriture des armures à l’époque baroque était de dédoubler les bémols de la portée : dans le cas présent, on note donc les deux si bémols et les deux la bémols (en bas et en haut). Voici par exemple l’armure de la quatrième suite (en mi bémol majeur) dans le manuscrit d’Anna Magdalena :
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La copie de Kellner présente la cinquième suite sans la scordatura demandée par Bach ; il écrit les notes réelles. Ce n’est d’ailleurs pas une version pour violoncelle: dans le prélude, le magnifique accord de la deuxième mesure (qu’il transcrit intégralement) do – si bécarre – fa – la bémol est en effet injouable avec un accord normal.
Les trois autres manuscrits respectent la scordatura. Mais l’armure pose alors un problème : un « la » noté sur la ligne supérieure doit sonner sol naturel. Il faut donc annuler le bémol impliqué par l’armure, et Bach a écrit un bécarre sur cette première ligne, pour que l’instrumentiste joue cette corde à vide comme si c’était un la naturel.
Le manuscrit C, ainsi que les premières éditions publiées en France (Norblin 1824) et en Allemagne (Dotzauer 1825, jusqu’à Haussmann, Klengel et Becker - fin XIXe et début du XXe), présentent donc une armure avec un bécarre sur la première ligne :
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Examinons le manuscrit d’Anna Magdalena :
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Elle écrit tout au long de la suite une armure classique avec tous les bémols, y compris celui de la première ligne. Elle agit en quelque sorte par automatisme. Elle n’a pas remarqué le bécarre qui figurait dans la partition originale. Si c’est elle qui avait composé cette pièce, elle aurait évidemment noté cette particularité indispensable à une exécution correcte.
L’édition Bärenreiter (Wenzinger 1950, plusieurs fois rééditée) ne place pas elle non plus le bécarre à la clé, mais l’indique systématiquement devant chaque la à vide dans le courant de la partition. Anna Magdalena ne corrige rien du tout.
On pourra accessoirement remarquer dans ce début du prélude une autre erreur d’AM : alors que toutes les sources donnent un mi bécarre à la mesure 4, elle laisse un mi bémol.
Cet élément n’est évidement pas le seul qui milite contre l’attribution des suites à Anna Magdalena, mais il me paraît assez décisif par lui-même.