Blainville? Vous avez dit Blainville?
Publié : mar. 14 mai 2024 09:55
par François 2 » lun. mai 14, 2018 5:07 pm
J’ai reçu tout récemment, par l’intermédiaire d’un ami, qui le tenait lui-même d’une de ses connaissances (qui affirmait l’avoir trouvé dans une bouteille échouée sur une plage du Calvados), un bien étrange message que je reproduis tel quel. Le début et la fin ont disparu, le papier ayant été rongé par l’eau de mer, et le texte est souvent peu lisible ou effacé, mais on en comprend l’essentiel :
« … paradis des Musiciens… communication diffic … avec surprise qu’un certain Monsieur Feuillard avoit diffusé sous le nom d’un mien confrère une Sonate pour …loncelle de ma composition… preuve … puisque cette sonate … dans mon Premier Recueil, dédié à ces Messieurs les Comédiens François… par un Capricio Presto que suit … Aria gratioso et … douloureux … ravir la paternité … réparer ma … »
Une lettre qui nous arrive de l’au-delà ? Il existerait donc quelque part un « paradis des musiciens » ? Mais trêve de spéculations : allons au but, et tâchons de rétablir l’infortuné compositeur dans ses droits.
A vrai dire, ce n’est pas très compliqué. Nous connaissons déjà Monsieur Feuillard et sa propension à publier entre autres choses des éditions « arrangées », afin de compléter son modeste traitement de « Professeur au Conservatoire National de Musique de Paris », comme on disait alors.
Une sonate comprenant un « Capricco » ? La voici, portant le titre
« C. M. Blainville (1711 – 1769) / Sonate ancienne pour violoncelle et piano », publiée chez Delrieu en 1935.
Et comme il y a des gens qui font leur travail, on trouve l’explication sur le site de la BnF :
Sonate ancienne pour violoncelle [Musique imprimée] / C. M. Blainville [sic] ; transcrite avec accompagnement de piano, par L. R. Feuillard
Note : Cette sonate n'est pas de Blainville, les 2 premiers mouvements sont ceux de la 2e Sonate des sonates à deux violoncelles, oeuvre 1re, 1736, de Masse, librement traités ; le 3e mouvement n'est pas identifié.
Il ne reste plus qu’à vérifier, le premier livre des sonates de Jean-Baptiste Massé étant aisément accessible aux éditions Fuzeau ou sur les sites Gallica et IMSLP.
Sans surprise, nous découvrons l’ampleur des modifications effectuées par Feuillard : changements multiples de texte, de tessiture, de mouvement, d’articulation. Le deuxième mouvement, par exemple, intitulé « Aria » par Massé, devient une « Pastorale », une fois transposé une quarte plus haut. La ligne de basse animée des quatre premières mesures est réduite à un accord de sol fonctionnant comme un bourdon de musette (pour donner un air « paysan » à cette pastorale), etc., etc.
Malgré de longues recherches je ne suis pas parvenu à identifier l’origine du rondo final, qui ne semble pas être de Massé. Le tout début me rappelle une rengaine de Claude François (1964) : « Si tu m’aimes (bis) Donne-moi (bis) Une petite mèche de tes cheveux (bis)… », mais je doute fort que les deux morceaux aient une source commune…
(pour les intrépides ou les nostalgiques : https://www.youtube.com/watch?v=RcchLakRCCY)
Le plus étonnant reste cependant une observation des éditeurs placée en tête de la partition (je ne sais pas si elle a été reproduite dans les rééditions récentes) :
« Le manuscrit original, publié pour la première fois et ayant servi à L. R. Feuillard pour la présente transcription, est sa propriété privée.
L. R. Feuillard l’a traité si librement qu’elle constitue par de fait une œuvre originale. Par conséquent, toute autre transcription de cette Sonate est absolument interdite et passible de poursuites judiciaires. »
De deux choses l’une :
- ou bien Feuillard possédait effectivement un manuscrit attribuant à « C.M. Blainville » (lequel se prénommait en réalité Charles Henri, les lettres « C.H ». mal calligraphiées étant alors lues « C. M. ») une pièce dont les deux premiers mouvements au moins étaient de J. B. Massé. Il ne le savait pas, et il a traité « librement » cette musique pour en faire une œuvre personnelle dont il était prêt à revendiquer la propriété devant les tribunaux ! On aimerait voir ce manuscrit, qui doit bien se trouver aujourd’hui quelque part….
- ou bien il a gentiment pompé et bidouillé Massé en dissimulant sa source pour mieux se prévaloir de la propriété de cette « œuvre originale ».
La « sonate ancienne de Blainville » a figuré récemment comme morceau imposé dans les conservatoires d’Aix (2017), Annecy (2014), Caen (2018), Nice (Cham – 2012, 2014). Elle a également été jouée dans le cadre du concours « Vatelot-Rampal » en 2016.
Le « Capriccio » initial est au programme des examens d’entrée en CHAM pour l’année scolaire 2018-2019 dans au moins deux grands conservatoires français.
Que doivent faire les candidats? Peuvent-il dire que la pièce qu’on leur demande d’interpréter est un truc bizarre qui n’a pas grand-chose à voir avec l’original ? Leur faut-il respecter les articulations et les tempi incongrus de Feuillard ?
En tout cas, nous savons maintenant qui a écrit le message dans la bouteille…
J’ai reçu tout récemment, par l’intermédiaire d’un ami, qui le tenait lui-même d’une de ses connaissances (qui affirmait l’avoir trouvé dans une bouteille échouée sur une plage du Calvados), un bien étrange message que je reproduis tel quel. Le début et la fin ont disparu, le papier ayant été rongé par l’eau de mer, et le texte est souvent peu lisible ou effacé, mais on en comprend l’essentiel :
« … paradis des Musiciens… communication diffic … avec surprise qu’un certain Monsieur Feuillard avoit diffusé sous le nom d’un mien confrère une Sonate pour …loncelle de ma composition… preuve … puisque cette sonate … dans mon Premier Recueil, dédié à ces Messieurs les Comédiens François… par un Capricio Presto que suit … Aria gratioso et … douloureux … ravir la paternité … réparer ma … »
Une lettre qui nous arrive de l’au-delà ? Il existerait donc quelque part un « paradis des musiciens » ? Mais trêve de spéculations : allons au but, et tâchons de rétablir l’infortuné compositeur dans ses droits.
A vrai dire, ce n’est pas très compliqué. Nous connaissons déjà Monsieur Feuillard et sa propension à publier entre autres choses des éditions « arrangées », afin de compléter son modeste traitement de « Professeur au Conservatoire National de Musique de Paris », comme on disait alors.
Une sonate comprenant un « Capricco » ? La voici, portant le titre
« C. M. Blainville (1711 – 1769) / Sonate ancienne pour violoncelle et piano », publiée chez Delrieu en 1935.
Et comme il y a des gens qui font leur travail, on trouve l’explication sur le site de la BnF :
Sonate ancienne pour violoncelle [Musique imprimée] / C. M. Blainville [sic] ; transcrite avec accompagnement de piano, par L. R. Feuillard
Note : Cette sonate n'est pas de Blainville, les 2 premiers mouvements sont ceux de la 2e Sonate des sonates à deux violoncelles, oeuvre 1re, 1736, de Masse, librement traités ; le 3e mouvement n'est pas identifié.
Il ne reste plus qu’à vérifier, le premier livre des sonates de Jean-Baptiste Massé étant aisément accessible aux éditions Fuzeau ou sur les sites Gallica et IMSLP.
Sans surprise, nous découvrons l’ampleur des modifications effectuées par Feuillard : changements multiples de texte, de tessiture, de mouvement, d’articulation. Le deuxième mouvement, par exemple, intitulé « Aria » par Massé, devient une « Pastorale », une fois transposé une quarte plus haut. La ligne de basse animée des quatre premières mesures est réduite à un accord de sol fonctionnant comme un bourdon de musette (pour donner un air « paysan » à cette pastorale), etc., etc.
Malgré de longues recherches je ne suis pas parvenu à identifier l’origine du rondo final, qui ne semble pas être de Massé. Le tout début me rappelle une rengaine de Claude François (1964) : « Si tu m’aimes (bis) Donne-moi (bis) Une petite mèche de tes cheveux (bis)… », mais je doute fort que les deux morceaux aient une source commune…
(pour les intrépides ou les nostalgiques : https://www.youtube.com/watch?v=RcchLakRCCY)
Le plus étonnant reste cependant une observation des éditeurs placée en tête de la partition (je ne sais pas si elle a été reproduite dans les rééditions récentes) :
« Le manuscrit original, publié pour la première fois et ayant servi à L. R. Feuillard pour la présente transcription, est sa propriété privée.
L. R. Feuillard l’a traité si librement qu’elle constitue par de fait une œuvre originale. Par conséquent, toute autre transcription de cette Sonate est absolument interdite et passible de poursuites judiciaires. »
De deux choses l’une :
- ou bien Feuillard possédait effectivement un manuscrit attribuant à « C.M. Blainville » (lequel se prénommait en réalité Charles Henri, les lettres « C.H ». mal calligraphiées étant alors lues « C. M. ») une pièce dont les deux premiers mouvements au moins étaient de J. B. Massé. Il ne le savait pas, et il a traité « librement » cette musique pour en faire une œuvre personnelle dont il était prêt à revendiquer la propriété devant les tribunaux ! On aimerait voir ce manuscrit, qui doit bien se trouver aujourd’hui quelque part….
- ou bien il a gentiment pompé et bidouillé Massé en dissimulant sa source pour mieux se prévaloir de la propriété de cette « œuvre originale ».
La « sonate ancienne de Blainville » a figuré récemment comme morceau imposé dans les conservatoires d’Aix (2017), Annecy (2014), Caen (2018), Nice (Cham – 2012, 2014). Elle a également été jouée dans le cadre du concours « Vatelot-Rampal » en 2016.
Le « Capriccio » initial est au programme des examens d’entrée en CHAM pour l’année scolaire 2018-2019 dans au moins deux grands conservatoires français.
Que doivent faire les candidats? Peuvent-il dire que la pièce qu’on leur demande d’interpréter est un truc bizarre qui n’a pas grand-chose à voir avec l’original ? Leur faut-il respecter les articulations et les tempi incongrus de Feuillard ?
En tout cas, nous savons maintenant qui a écrit le message dans la bouteille…