[Histoire de Lutherie] La maison Jacques Camurat & Fils
Publié : mar. 1 avr. 2025 21:17
En attendant une bio..
Grâce à Pascal Camurat (Luthier Archetier) https://www.pascal-camurat.com/ j'ai recrée une frise chronologique des luthiers et des archetiers ayants travaillé pour la maison crée par son père Jacques Camurat:
C'est cadeau
https://expert.ruederome.com/album/Mais ... 99%29.OeYJ
Mise à Jour 8 Avril: Pascal m'a très gentillement mis a disposition une interview vidéo privé qu'il a réalisé de son père en 2009.
en voici la retranscription:
Entretient avec Jacques Camurat en 2009
Par Pascal Camurat
J'étais à Varennes-sur-Avie pendant la guerre, et mon cousin jouait du violon, et moi j'aurais bien voulu en jouer, par les moyens. Alors on est descendu dans la cave, on a pris la vieille roue de mon grand-père, et on a essayé de la transformer en violon. Heureusement, on arrêtait à temps avant de l'abîmer, et dès que mon père a pu nous rapatrier en Espagne, à Bilbao, la première chose que j'ai demandé, c'est d'apprendre à jouer du violon et faire de la peinture, des cours de peinture.
Alors tout en allant au lycée français, j'ai appris donc à jouer du violon, et c'est là où je me suis mis à faire un petit violon en miniature.
-Pascal Camurat : Avec quoi ?
Avec les moyens du bord, avec un canif, et comme il était pas mal, mon professeur de violon m'a dit, il faut en faire un grand, et en sortant du lycée, j'avais pris un établi chez un menuisier qui me l'avait prêté, et j'ai fait sept violons en amateur.
- Vous trouvez le bois, tu trouvais le bois où ?
C'était du n'importe quoi, tout sauf ce qu'il fallait, et de là, j'ai eu une tante qui m'a dit, si tu veux être luthier, tu peux rentrer chez Jean Bauer, on va t'introduire.
- Oui, parce qu'elle connaissait la famille ?
Elle connaissait Madame Laurent, qui était la femme de Jean Bauer, Geneviève. Geneviève Bauer. Je suis rentré chez Jean Bauer, il ne m'a pas pris comme apprenti.
-En quelle année ?
Il faut que je fasse un calcul, je devais avoir 19 ans, j'ai eu un 27, ça fait…
- En 46. Il avait quel âge, Jean Bauer ?
Il était tout jeune, il avait 10 ans de plus que moi, et en arrivant chez lui, il m'a dit, vous savez chez qui vous rentrez ? Je lui ai dit oui, chez Jean Bauer, chez le plus grand luthier de France.
- Et ça faisait longtemps qu'il était installé ?
4 ou 5 ans.
- Il travaillait seul ?
Non, il avait joué Paul, Paul Martin, mais qui est parti au régiment, c'est pour ça qu'il m'a pris pour le remplacer.
- Mais pas très longtemps ?
Un an.
- Tu es resté un an avec Jean Bauer, qu'est-ce qu'il t'a appris ?
Il m'a fait faire un violon neuf, je me souviendrai toujours.
- Pourquoi tu t'en souviendras toujours ?
Parce que c'est le premier violon que j'ai fait vraiment correctement. Puis après, il m'a appris à faire la réparation d'archet et du violon. Il me faisait vendre les cordes à Rue Saint-Lô, et Mme Bauer trouvait que je m'y prenais très bien.
- Ça t'a suivi ça ? En fait, le premier contact que tu as eu avec la lutherie, ce n'était pas du tout une forme d'apprentissage traditionnelle ?
Non.
- Et au bout d'un an alors, comment t'as fait ? Parce que tu t'es dit que tu ne peux pas t'arrêter là, il faut continuer.
Oui. J'ai demandé à Jean Bauer de me faire une lettre de recommandation, il m'a dit si on me la demande. Alors, je n'ai pas eu de lettre, je suis allé chez le Père Henel qui m'a dit « Chitreau, je n'ai plus le temps de former l'apprenti ».
- Il était où le Père Henel à Paris ?
Oui, il était à la place de Bauer.
- Il ne prenait pas d'apprenti ?
Plus. Et puis, je suis allé chez Vatelot, et Marcel Vatelot m'a reçu très gentiment, il m'a engagé.
- Rapidement ?
Tout de suite.
- Combien de temps tu es resté alors chez Marcel Vatelot ? Il y avait qui à l'époque là-bas ?
Pierre Taconet, peut-être l'Oxeroi, je ne me souviens plus de l'autre.
- Et Étienne Vatelot était où ?
Il était là, dans l'atelier. Il était là, on est pas sûr.
- Alors, tu es resté combien de temps là ?
Un an.
- Un an à travailler, à faire quoi ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait faire ?
Des réparations. Que des réparations.
- Et ils te faisaient faire du neuf ?
J'ai dû faire un violon neuf avec l'aide de Pierre Taconet.
- Et tu avais déjà des contacts avec les luthiers parisiens à l'époque ?
Très peu.
-Qui c'est que tu voyais comme jeune luthier, à part Pierre Taconet ?
Il y avait Philippe Dupuis, Bernard Milan, c'est tout.
-Vous vous connaissiez donc c'est après que tu es parti à Mirecourt ?
Oui, je suis allé sur la recommandation de Marcel Vatelot, qui m'a recommandé à « Médé » Dieudonné.
- L'amedée qui était rue Canon ?
Oui.
-Et donc ça c'était en ?
Dans les années 50.
-Donc tu es arrivé à Mirecourt en automne ?
Oui, mois de septembre.
-Et il y avait six personnes dans l'atelier ?
Six, oui dont Amédée Dieudonné, il y avait en face de lui, un luthier dont je ne me souviens plus le nom.
-Thomassin ?
Thomassin, oui. Et à ma droite, il y avait Jean Eulry. Moi j'étais à côté de lui.
Derrière nous, il y avait deux apprentis. Il y avait Arnaud Louvois, petit-fils d' Hel de Lille, qui n'a pas persévéré. Et puis un jeune d'Aix-en-Provence, qui a appris à réparer les pianos.
-Alors vous faisiez combien d'heures d'atelier ?
On faisait neuf heures par jour. On commençait le matin à huit heures. Et on travaillait le samedi matin. Et le samedi après-midi, ils allaient faire leur jardin. Alors c'est les apprentis qui étaient chargés de ramasser les copeaux et de faire le feu. Et comme le pauvre Amédée Dieudonné avait été gazé pendant la guerre de 40, il avait des problèmes de bronches très, très ennuyeux. Et il crachait ses poumons dans les copeaux. Et après il fallait ramasser tout ça. Et le mettre au feu.
-Ça c'est le pire souvenir. Et le meilleur alors ?
C'était le plaisir que j'avais à faire du neuf.
Alors le bois, qu'est-ce qu'ils lui donnaient ?
Tous les lundis matins, parce qu'ils faisaient leur violon en blanc par semaine, sauf les têtes qui étaient faites par Delignon (louis) et les vernis qui étaient faits par (Louis Vigneron dit) le Zico. Eh bien, ils descendaient avec ces fournitures et ils les distribuaient à tout le monde. Sauf aux apprentis qui allaient moins vite parce qu'on ne faisait pas un violon par semaine.
-Parce que sinon eux, ils faisaient un violon par semaine ?
En blanc, oui.
-Enclavé ?
Avec une dextérité inouïe. Ils avaient une sûreté de main.
-Alors qu'est-ce qu'il te disait, Eulry ?
Rien. Ils me laissaient regarder comment il fallait faire. Et de temps en temps, Dieudonné me disait « Mais pourquoi tu vas si vite ? » Alors je lui répondais « Parce que plus tard, quand je gagne ma vie, il faudra que je fasse au moins mes deux violons par mois. » Et il me disait « Tu pousses des soupirs comme des pets de vache.» Ben oui, parce que ça n'allait pas assez vite.
-Et alors, qui c'est d'autre que tu voyais à Mirecourt ?
Comme Luthier ? Comme Luthier, très peu. Il fallait éviter d'aller chez les concurrents.
- Ça ne se faisait pas ?
Ça n'était pas apprécié du tout. Un jour, il y a une charrette de bois qui remontait la rue de Canons. La médec' se lève et regarde. « Ah, ça c'est pour le laberte. C'est tout manger au verre. »
- Il était jaloux ?
Oui.
-Il n'y avait pas de bon moment avec eux ? Vous ne partagez pas de bon moment ? Non.
- C'était sévère ?
De temps en temps, quand même, ils nous invitaient à dîner chez Dieudonné. On va faire les vendanges.
-Donc là, tu as fait beaucoup de violons. Et après, tu es reparti ?
J'ai racheté tous les violons en blanc que j'avais fait chez Dieudonné.
-Tu es resté un an chez lui ?
Oui, et je suis reparti à Bilbao où j'ai préparé le concours de quatuor de Liège et où j'avais trouvé d'excellentes tables pour faire mon quatuor chez...
-Maucotel ?
Maucotel et Deschamps. C'était de l'épicéa qui venait du Jura, Suisse, qui était déjà bien sec. Et donc, j'ai acheté des tables de violon des tables de violoncelles. Et malheureusement, qu'une table de violoncelles et dedans, il y avait un nœud. Et je n'ai pas pu faire autrement que de présenter mon quatuor avec le nœud.
-Ce qui fait que tu n'as pas été...
En Finale. J'avais les points qu'il fallait pour aller en finale grâce à une très bonne sonorité.
Et donc, c'est Jean Bauer qui a remporté le premier prix. Max Millan derrière, qui n'a pas eu le premier prix parce qu'on l'a soupçonné d'avoir trafiqué à l'intérieur quelque chose, un produit qui brunit et qui vieillissait le bois, enfin bref. De toute façon, ils ont donné préférence à Jean Bauer. Peut-être aussi parce qu'il avait quatre enfants élevés. Et troisièmement, c'était Max Muller. Après, il y a eu Gadgini. Et moi, je suis arrivé en cinquième position.
- Et quand tu étais à Bilbao, tu allais à Paris souvent, tu allais voir Mocotel, tu t'allais voir d'autres ?
Moi, j'allais chez... J'aimais bien aller chez le père Enel.
-Tu lui montrais tes violons ?
Oui. Je lui demandais conseils.
- Sur les vernis ?
Oui. Je retournais chez Vatelot, bien sûr.
-Toujours bien reçu ?
Oui.
-Et cet épisode du match de foot, c'était à Mirecourt, quand tu étais chez Dieudonné ?
C'était à Mirecourt, quand j'étais apprenti, oui. Et là, il y avait... Il y a eu une Sainte-Cécile, ils m'ont saoulé la gueule. Ils m'ont nommé arbitre d'un match de foot. Et bien, ça n'a pas duré longtemps, parce que quand ils ont vu que je titubais, je suis sorti du terrain.
-Vous étiez à Mirecourt, vous n'appreniez pas le vernissage ?
Ah non, pas du tout.
-Pas du tout, du tout. Comment t'as appris ?
On se débrouillait comme on pouvait. J'allais chez... Chez Enel, chez Vatelot. Il y avait des bouquins, quand même, sur les vernis. Et je demandais comment on pouvait faire pour vernir. Et chacun y allait de son petit laïus. Et avec ce que je retenais, je me débrouillais.
-Et c'est qui t'a donné les meilleurs conseils ?
Pas grand monde, sur les vernis.
-Après, tu t'es installé rue d'Alexandrie. T'as quitté Bilbao après 4-5 ans.
Et j'ai eu Dieter Walter comme apprenti. Il restait quelques mois.
-Les violons que tu fabriquais à Bilbao, qu'est-ce que t'en faisais ?
Comme ils ne se vendaient pas en Espagne, les Espagnols ne jouaient pas de violon. Très peu. Ils faisaient de la guitare. C'est pour ça que je n'ai pas pu m'installer à Madrid, comme c'était prévu. Marcel Matelot m'a conseillé d'aller m'installer à Lille. Quand j'ai vu l'austérité du Conservatoire, je suis revenu aussi vite.J'ai cherché à m'installer à Paris. D'abord en appartement, rue d'Alexandrie. Je suis resté 6-5 ans. Et après, comme je me suis aperçu que les clients ne venaient pas, il fallait que j'aille les chercher. J'ai décidé de chercher une boutique rue de Rome. J'ai d'abord trouvé rue d'Amsterdam. J'ai bien fait de ne pas m'y mettre, parce que c'est trop excentré du Conservatoire. J'ai trouvé une modiste qui vendait son fonds. J'ai racheté le fonds.Mon père me l'a payé. Et du jour où j'ai ouvert, les clients étaient là.
-Reparle-moi de Jean Eulry, quand tu le regardais travailler.Qu'est-ce qu'il y avait d'étonnant ?
La rapidité avec laquelle il faisait les instruments. Je veux dire, un violon en blanc était fini en une semaine. Et impeccable.Coup de canif, sûr. Quand il filetait. Deux, trois coups, et puis ça y est.Après, il n'y avait plus qu'à passer le bédame. Une sûreté de main inouïe. Et d'œil.
-Vous n'aviez pas de lumière dans la journée ?
Non, la lumière venait des fenêtres de la gauche. Et quand il ébauchait, son ébauche était tellement régulière, qu'après, il n'y avait plus qu'à passer un petit coup de rabot à … un petit coup de petit rabot et la voûte était déjà faite.
-Vous n'avez pas eu le droit de prendre les modèles de chez Dieudonné ?
Non. Tout simplement, quand j'étais chez Jean Breuer, j'avais relevé en douce, il avait des modèles d'Amati, de Strad, de ça. Il avait des modèles. J'avais relevé sur des papiers, les différents modèles.
-Et tu avais fait un violoncelle sur un modèle de Dieudonné ?
Ah oui. J'avais fait ça aux Alexandries. Et je l'avais bien vendu.
-Comment tu l'avais eu, ce modèle ?
Il m'avait cédé son moule, son moule de violoncelle. Sur modèle Strad.
-Quand tu es arrivé chez Dieudonné, comment il t'a reçu ?
Très gentiment, mais très rapidement, il m'a laissé comprendre qu'il était très pessimiste quant à l'avenir de la lutherie. Pour la bonne raison, c'est qu'avec l'arrivée du disque, il n'y aura pratiquement plus d'orchestre. Et quelques solistes suffiront. Donc il n'y aura plus besoin de luthiers. Il ne savait pas à l'époque quand André Malraux allait permettre à la France d'ouvrir des conservatoires régionaux qui allaient relancer la lutherie.
-Alors, professionnellement, quel a été ton plus grand regret et quelle a été ta plus grande satisfaction ?
Mon plus grand regret, c'est peut-être d'avoir trop développé l'aspect commercial de la profession au détriment de la production d'instruments neufs que j'aimais bien faire. Quant à la plus grande satisfaction, c'est sans que je les ai forcé, mes deux fils ont repris le flambeau : Bernard et Pascal.
-Jusqu'à quand tu as fabriqué les instruments ?
J'ai fabriqué des instruments jusqu'à peu près cinq ans avant ma retraite.
-En 1985 ?
Oui.
-Est-ce que tu te souviens du dernier violon que tu as fabriqué ?
Cela n'était pas un violon. je faisais beaucoup d'alto. Un alto.
-C'était où ?
Ah ben rue de Rome.
-Tu n'en as pas refait un à Montigny ?
Si j'en ai refait un à Montigny. Quand Bernard s'est installé à Montigny-sur-Loin, j'allais dans son atelier, je faisais des têtes de violoncelle et j'ai fait un alto. Mais là, j'ai commencé à me rendre compte que ça déclinait. L'habileté manuelle n'était plus ça.
-Si tu avais un conseil à donner à un jeune luthier aujourd'hui ?
C'est de s'orienter vers la culture biologique pour l'avenir de la planète.
-Plutôt que ?
La lutherie, il y a trop de jeunes à faire ce métier et il n'y aura pas de travail pour tout le monde.
-Et si tu avais un message à faire passer à un jeune luthier pour l'avenir de sa profession ? Qu'est-ce que tu lui dirais ? Pour bien aimer son métier, pour réussir. Un message pour réussir professionnellement. Qu'est-ce que tu dirais à un jeune ?
Je serais bien embarrassé parce que partout où je me retourne, je ne vois que des gens dans la profession qui ont des difficultés et qui tirent le diable par la queue.
-Alors qu'est-ce que tu crois pour toi qui est le plus important, quelle que soit la conjoncture, pour réussir dans ce métier ?
Evidemment, d'être le meilleur, de faire les plus beaux instruments comme l'ont fait Jean-Baptiste Villaume et tant d'autres.
-Mais comment on y arrive ?
Comment ? Dans l'amour du métier. Exactement comme moi, quand j'étais rue d'Alexandrie et que ça ne marchait pas. Il y a un certain temps, j'ai sonné à la porte de Villemarte à la place Vendôme et pendant quelques mois j'ai vendu des tissus.
Et puis au bout de quelques mois, l'amour du métier était plus fort, j'ai abandonné la vente des tissus et je suis revenu à l’établi.
Grâce à Pascal Camurat (Luthier Archetier) https://www.pascal-camurat.com/ j'ai recrée une frise chronologique des luthiers et des archetiers ayants travaillé pour la maison crée par son père Jacques Camurat:
C'est cadeau
https://expert.ruederome.com/album/Mais ... 99%29.OeYJ
Mise à Jour 8 Avril: Pascal m'a très gentillement mis a disposition une interview vidéo privé qu'il a réalisé de son père en 2009.
en voici la retranscription:
Entretient avec Jacques Camurat en 2009
Par Pascal Camurat
J'étais à Varennes-sur-Avie pendant la guerre, et mon cousin jouait du violon, et moi j'aurais bien voulu en jouer, par les moyens. Alors on est descendu dans la cave, on a pris la vieille roue de mon grand-père, et on a essayé de la transformer en violon. Heureusement, on arrêtait à temps avant de l'abîmer, et dès que mon père a pu nous rapatrier en Espagne, à Bilbao, la première chose que j'ai demandé, c'est d'apprendre à jouer du violon et faire de la peinture, des cours de peinture.
Alors tout en allant au lycée français, j'ai appris donc à jouer du violon, et c'est là où je me suis mis à faire un petit violon en miniature.
-Pascal Camurat : Avec quoi ?
Avec les moyens du bord, avec un canif, et comme il était pas mal, mon professeur de violon m'a dit, il faut en faire un grand, et en sortant du lycée, j'avais pris un établi chez un menuisier qui me l'avait prêté, et j'ai fait sept violons en amateur.
- Vous trouvez le bois, tu trouvais le bois où ?
C'était du n'importe quoi, tout sauf ce qu'il fallait, et de là, j'ai eu une tante qui m'a dit, si tu veux être luthier, tu peux rentrer chez Jean Bauer, on va t'introduire.
- Oui, parce qu'elle connaissait la famille ?
Elle connaissait Madame Laurent, qui était la femme de Jean Bauer, Geneviève. Geneviève Bauer. Je suis rentré chez Jean Bauer, il ne m'a pas pris comme apprenti.
-En quelle année ?
Il faut que je fasse un calcul, je devais avoir 19 ans, j'ai eu un 27, ça fait…
- En 46. Il avait quel âge, Jean Bauer ?
Il était tout jeune, il avait 10 ans de plus que moi, et en arrivant chez lui, il m'a dit, vous savez chez qui vous rentrez ? Je lui ai dit oui, chez Jean Bauer, chez le plus grand luthier de France.
- Et ça faisait longtemps qu'il était installé ?
4 ou 5 ans.
- Il travaillait seul ?
Non, il avait joué Paul, Paul Martin, mais qui est parti au régiment, c'est pour ça qu'il m'a pris pour le remplacer.
- Mais pas très longtemps ?
Un an.
- Tu es resté un an avec Jean Bauer, qu'est-ce qu'il t'a appris ?
Il m'a fait faire un violon neuf, je me souviendrai toujours.
- Pourquoi tu t'en souviendras toujours ?
Parce que c'est le premier violon que j'ai fait vraiment correctement. Puis après, il m'a appris à faire la réparation d'archet et du violon. Il me faisait vendre les cordes à Rue Saint-Lô, et Mme Bauer trouvait que je m'y prenais très bien.
- Ça t'a suivi ça ? En fait, le premier contact que tu as eu avec la lutherie, ce n'était pas du tout une forme d'apprentissage traditionnelle ?
Non.
- Et au bout d'un an alors, comment t'as fait ? Parce que tu t'es dit que tu ne peux pas t'arrêter là, il faut continuer.
Oui. J'ai demandé à Jean Bauer de me faire une lettre de recommandation, il m'a dit si on me la demande. Alors, je n'ai pas eu de lettre, je suis allé chez le Père Henel qui m'a dit « Chitreau, je n'ai plus le temps de former l'apprenti ».
- Il était où le Père Henel à Paris ?
Oui, il était à la place de Bauer.
- Il ne prenait pas d'apprenti ?
Plus. Et puis, je suis allé chez Vatelot, et Marcel Vatelot m'a reçu très gentiment, il m'a engagé.
- Rapidement ?
Tout de suite.
- Combien de temps tu es resté alors chez Marcel Vatelot ? Il y avait qui à l'époque là-bas ?
Pierre Taconet, peut-être l'Oxeroi, je ne me souviens plus de l'autre.
- Et Étienne Vatelot était où ?
Il était là, dans l'atelier. Il était là, on est pas sûr.
- Alors, tu es resté combien de temps là ?
Un an.
- Un an à travailler, à faire quoi ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait faire ?
Des réparations. Que des réparations.
- Et ils te faisaient faire du neuf ?
J'ai dû faire un violon neuf avec l'aide de Pierre Taconet.
- Et tu avais déjà des contacts avec les luthiers parisiens à l'époque ?
Très peu.
-Qui c'est que tu voyais comme jeune luthier, à part Pierre Taconet ?
Il y avait Philippe Dupuis, Bernard Milan, c'est tout.
-Vous vous connaissiez donc c'est après que tu es parti à Mirecourt ?
Oui, je suis allé sur la recommandation de Marcel Vatelot, qui m'a recommandé à « Médé » Dieudonné.
- L'amedée qui était rue Canon ?
Oui.
-Et donc ça c'était en ?
Dans les années 50.
-Donc tu es arrivé à Mirecourt en automne ?
Oui, mois de septembre.
-Et il y avait six personnes dans l'atelier ?
Six, oui dont Amédée Dieudonné, il y avait en face de lui, un luthier dont je ne me souviens plus le nom.
-Thomassin ?
Thomassin, oui. Et à ma droite, il y avait Jean Eulry. Moi j'étais à côté de lui.
Derrière nous, il y avait deux apprentis. Il y avait Arnaud Louvois, petit-fils d' Hel de Lille, qui n'a pas persévéré. Et puis un jeune d'Aix-en-Provence, qui a appris à réparer les pianos.
-Alors vous faisiez combien d'heures d'atelier ?
On faisait neuf heures par jour. On commençait le matin à huit heures. Et on travaillait le samedi matin. Et le samedi après-midi, ils allaient faire leur jardin. Alors c'est les apprentis qui étaient chargés de ramasser les copeaux et de faire le feu. Et comme le pauvre Amédée Dieudonné avait été gazé pendant la guerre de 40, il avait des problèmes de bronches très, très ennuyeux. Et il crachait ses poumons dans les copeaux. Et après il fallait ramasser tout ça. Et le mettre au feu.
-Ça c'est le pire souvenir. Et le meilleur alors ?
C'était le plaisir que j'avais à faire du neuf.
Alors le bois, qu'est-ce qu'ils lui donnaient ?
Tous les lundis matins, parce qu'ils faisaient leur violon en blanc par semaine, sauf les têtes qui étaient faites par Delignon (louis) et les vernis qui étaient faits par (Louis Vigneron dit) le Zico. Eh bien, ils descendaient avec ces fournitures et ils les distribuaient à tout le monde. Sauf aux apprentis qui allaient moins vite parce qu'on ne faisait pas un violon par semaine.
-Parce que sinon eux, ils faisaient un violon par semaine ?
En blanc, oui.
-Enclavé ?
Avec une dextérité inouïe. Ils avaient une sûreté de main.
-Alors qu'est-ce qu'il te disait, Eulry ?
Rien. Ils me laissaient regarder comment il fallait faire. Et de temps en temps, Dieudonné me disait « Mais pourquoi tu vas si vite ? » Alors je lui répondais « Parce que plus tard, quand je gagne ma vie, il faudra que je fasse au moins mes deux violons par mois. » Et il me disait « Tu pousses des soupirs comme des pets de vache.» Ben oui, parce que ça n'allait pas assez vite.
-Et alors, qui c'est d'autre que tu voyais à Mirecourt ?
Comme Luthier ? Comme Luthier, très peu. Il fallait éviter d'aller chez les concurrents.
- Ça ne se faisait pas ?
Ça n'était pas apprécié du tout. Un jour, il y a une charrette de bois qui remontait la rue de Canons. La médec' se lève et regarde. « Ah, ça c'est pour le laberte. C'est tout manger au verre. »
- Il était jaloux ?
Oui.
-Il n'y avait pas de bon moment avec eux ? Vous ne partagez pas de bon moment ? Non.
- C'était sévère ?
De temps en temps, quand même, ils nous invitaient à dîner chez Dieudonné. On va faire les vendanges.
-Donc là, tu as fait beaucoup de violons. Et après, tu es reparti ?
J'ai racheté tous les violons en blanc que j'avais fait chez Dieudonné.
-Tu es resté un an chez lui ?
Oui, et je suis reparti à Bilbao où j'ai préparé le concours de quatuor de Liège et où j'avais trouvé d'excellentes tables pour faire mon quatuor chez...
-Maucotel ?
Maucotel et Deschamps. C'était de l'épicéa qui venait du Jura, Suisse, qui était déjà bien sec. Et donc, j'ai acheté des tables de violon des tables de violoncelles. Et malheureusement, qu'une table de violoncelles et dedans, il y avait un nœud. Et je n'ai pas pu faire autrement que de présenter mon quatuor avec le nœud.
-Ce qui fait que tu n'as pas été...
En Finale. J'avais les points qu'il fallait pour aller en finale grâce à une très bonne sonorité.
Et donc, c'est Jean Bauer qui a remporté le premier prix. Max Millan derrière, qui n'a pas eu le premier prix parce qu'on l'a soupçonné d'avoir trafiqué à l'intérieur quelque chose, un produit qui brunit et qui vieillissait le bois, enfin bref. De toute façon, ils ont donné préférence à Jean Bauer. Peut-être aussi parce qu'il avait quatre enfants élevés. Et troisièmement, c'était Max Muller. Après, il y a eu Gadgini. Et moi, je suis arrivé en cinquième position.
- Et quand tu étais à Bilbao, tu allais à Paris souvent, tu allais voir Mocotel, tu t'allais voir d'autres ?
Moi, j'allais chez... J'aimais bien aller chez le père Enel.
-Tu lui montrais tes violons ?
Oui. Je lui demandais conseils.
- Sur les vernis ?
Oui. Je retournais chez Vatelot, bien sûr.
-Toujours bien reçu ?
Oui.
-Et cet épisode du match de foot, c'était à Mirecourt, quand tu étais chez Dieudonné ?
C'était à Mirecourt, quand j'étais apprenti, oui. Et là, il y avait... Il y a eu une Sainte-Cécile, ils m'ont saoulé la gueule. Ils m'ont nommé arbitre d'un match de foot. Et bien, ça n'a pas duré longtemps, parce que quand ils ont vu que je titubais, je suis sorti du terrain.
-Vous étiez à Mirecourt, vous n'appreniez pas le vernissage ?
Ah non, pas du tout.
-Pas du tout, du tout. Comment t'as appris ?
On se débrouillait comme on pouvait. J'allais chez... Chez Enel, chez Vatelot. Il y avait des bouquins, quand même, sur les vernis. Et je demandais comment on pouvait faire pour vernir. Et chacun y allait de son petit laïus. Et avec ce que je retenais, je me débrouillais.
-Et c'est qui t'a donné les meilleurs conseils ?
Pas grand monde, sur les vernis.
-Après, tu t'es installé rue d'Alexandrie. T'as quitté Bilbao après 4-5 ans.
Et j'ai eu Dieter Walter comme apprenti. Il restait quelques mois.
-Les violons que tu fabriquais à Bilbao, qu'est-ce que t'en faisais ?
Comme ils ne se vendaient pas en Espagne, les Espagnols ne jouaient pas de violon. Très peu. Ils faisaient de la guitare. C'est pour ça que je n'ai pas pu m'installer à Madrid, comme c'était prévu. Marcel Matelot m'a conseillé d'aller m'installer à Lille. Quand j'ai vu l'austérité du Conservatoire, je suis revenu aussi vite.J'ai cherché à m'installer à Paris. D'abord en appartement, rue d'Alexandrie. Je suis resté 6-5 ans. Et après, comme je me suis aperçu que les clients ne venaient pas, il fallait que j'aille les chercher. J'ai décidé de chercher une boutique rue de Rome. J'ai d'abord trouvé rue d'Amsterdam. J'ai bien fait de ne pas m'y mettre, parce que c'est trop excentré du Conservatoire. J'ai trouvé une modiste qui vendait son fonds. J'ai racheté le fonds.Mon père me l'a payé. Et du jour où j'ai ouvert, les clients étaient là.
-Reparle-moi de Jean Eulry, quand tu le regardais travailler.Qu'est-ce qu'il y avait d'étonnant ?
La rapidité avec laquelle il faisait les instruments. Je veux dire, un violon en blanc était fini en une semaine. Et impeccable.Coup de canif, sûr. Quand il filetait. Deux, trois coups, et puis ça y est.Après, il n'y avait plus qu'à passer le bédame. Une sûreté de main inouïe. Et d'œil.
-Vous n'aviez pas de lumière dans la journée ?
Non, la lumière venait des fenêtres de la gauche. Et quand il ébauchait, son ébauche était tellement régulière, qu'après, il n'y avait plus qu'à passer un petit coup de rabot à … un petit coup de petit rabot et la voûte était déjà faite.
-Vous n'avez pas eu le droit de prendre les modèles de chez Dieudonné ?
Non. Tout simplement, quand j'étais chez Jean Breuer, j'avais relevé en douce, il avait des modèles d'Amati, de Strad, de ça. Il avait des modèles. J'avais relevé sur des papiers, les différents modèles.
-Et tu avais fait un violoncelle sur un modèle de Dieudonné ?
Ah oui. J'avais fait ça aux Alexandries. Et je l'avais bien vendu.
-Comment tu l'avais eu, ce modèle ?
Il m'avait cédé son moule, son moule de violoncelle. Sur modèle Strad.
-Quand tu es arrivé chez Dieudonné, comment il t'a reçu ?
Très gentiment, mais très rapidement, il m'a laissé comprendre qu'il était très pessimiste quant à l'avenir de la lutherie. Pour la bonne raison, c'est qu'avec l'arrivée du disque, il n'y aura pratiquement plus d'orchestre. Et quelques solistes suffiront. Donc il n'y aura plus besoin de luthiers. Il ne savait pas à l'époque quand André Malraux allait permettre à la France d'ouvrir des conservatoires régionaux qui allaient relancer la lutherie.
-Alors, professionnellement, quel a été ton plus grand regret et quelle a été ta plus grande satisfaction ?
Mon plus grand regret, c'est peut-être d'avoir trop développé l'aspect commercial de la profession au détriment de la production d'instruments neufs que j'aimais bien faire. Quant à la plus grande satisfaction, c'est sans que je les ai forcé, mes deux fils ont repris le flambeau : Bernard et Pascal.
-Jusqu'à quand tu as fabriqué les instruments ?
J'ai fabriqué des instruments jusqu'à peu près cinq ans avant ma retraite.
-En 1985 ?
Oui.
-Est-ce que tu te souviens du dernier violon que tu as fabriqué ?
Cela n'était pas un violon. je faisais beaucoup d'alto. Un alto.
-C'était où ?
Ah ben rue de Rome.
-Tu n'en as pas refait un à Montigny ?
Si j'en ai refait un à Montigny. Quand Bernard s'est installé à Montigny-sur-Loin, j'allais dans son atelier, je faisais des têtes de violoncelle et j'ai fait un alto. Mais là, j'ai commencé à me rendre compte que ça déclinait. L'habileté manuelle n'était plus ça.
-Si tu avais un conseil à donner à un jeune luthier aujourd'hui ?
C'est de s'orienter vers la culture biologique pour l'avenir de la planète.
-Plutôt que ?
La lutherie, il y a trop de jeunes à faire ce métier et il n'y aura pas de travail pour tout le monde.
-Et si tu avais un message à faire passer à un jeune luthier pour l'avenir de sa profession ? Qu'est-ce que tu lui dirais ? Pour bien aimer son métier, pour réussir. Un message pour réussir professionnellement. Qu'est-ce que tu dirais à un jeune ?
Je serais bien embarrassé parce que partout où je me retourne, je ne vois que des gens dans la profession qui ont des difficultés et qui tirent le diable par la queue.
-Alors qu'est-ce que tu crois pour toi qui est le plus important, quelle que soit la conjoncture, pour réussir dans ce métier ?
Evidemment, d'être le meilleur, de faire les plus beaux instruments comme l'ont fait Jean-Baptiste Villaume et tant d'autres.
-Mais comment on y arrive ?
Comment ? Dans l'amour du métier. Exactement comme moi, quand j'étais rue d'Alexandrie et que ça ne marchait pas. Il y a un certain temps, j'ai sonné à la porte de Villemarte à la place Vendôme et pendant quelques mois j'ai vendu des tissus.
Et puis au bout de quelques mois, l'amour du métier était plus fort, j'ai abandonné la vente des tissus et je suis revenu à l’établi.