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"Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 10:14
par guigz
Un article paru aujourd'hui sur lemonde.fr : (le lien)
Le secret des stradivarius dévoilé

Le mystère, un des plus épais de l'histoire de la musique, tenait depuis trois siècles. Depuis la mort, en 1737, à 93 ans, d'Antonio Stradivari, des générations de luthiers, de musiciens, d'acousticiens et de chimistes avaient tenté de percer le secret du maître. Le bois, la colle, l'assemblage des matériaux, leur traitement : la composition des fameux violons avait été passée à la loupe, ou plutôt à tout ce que la palette scientifique proposait d'optiques surpuissantes. Un élément résistait toutefois à l'analyse, celui-là même dont le maître de Crémone avait toujours refusé de révéler la formule : le vernis.

C'est aujourd'hui chose faite. Après quatre années de recherche, on connaît désormais la structure exacte du mystérieux revêtement. Une équipe d'une quinzaine d'intervenants issus de sept laboratoires français et allemands, coordonnée par Jean-Philippe Echard, chimiste au laboratoire de recherche et de restauration du Musée de la musique, à Paris, doit en faire l'annonce, vendredi 4 décembre. Une publication a été mise en ligne sur le site de la Angewandte Chemie International Edition, la plus importante revue de chimie au monde. Une version papier devrait suivre en janvier, accompagnée d'un article dans la revue Nature. Autant dire que ces conclusions devraient dépasser le cercle des mélomanes.

L'œuvre d'Antonio Stradivari tient de la légende. De son vivant déjà, les cours européennes s'arrachaient ses réalisations. Rescapé d'une épidémie de peste qui décima les luthiers de la plaine du Pô (nord de l'Italie), il régnait sur la profession. Harpes, cistres, violes, altos, violoncelles, basses, et bien sûr violons : 1 100 instruments quittèrent son atelier au cours de ses soixante-dix ans d'activité. Il en resterait aujourd'hui environ 650.

Entre-temps, le stradivarius s'est imposé comme une référence. Dans les salles de concert, où les virtuoses qui le pouvaient l'ont adopté presque unanimement. Chez les collectionneurs, les prix atteignent plusieurs millions d'euros. Mais aussi chez les luthiers et les scientifiques qui ont tenté de percer le "secret" de Stradivari. L'essence des arbres (des épicéas pour la table, des érables pour le fond) ? La période de coupe (traditionnellement une nuit d'hiver par lune descendante) ? Les plans exacts de ses instruments étaient connus. Pour le reste, on se perdait en conjectures. En 1830, le physicien Félix Savart obtient du grand luthier français Vuillaume le droit de désosser deux stradivarius. Sans résultat. Par la suite, on évoqua le traitement subi par le bois: densifié par une vague de froid, selon les uns, dopé par un parasite, selon les autres, bonifié par un passage dans la lagune vénitienne pour les troisièmes; on copia la perfection et l'équilibre de son dessin, qui fixa l'instrument dans sa forme définitive. Et l'on se pencha sur le fameux vernis.

AH, LE VERNIS !

"Pendant deux cent cinquante ans, on a tout entendu, sourit Jean-Philippe Echard, tout imaginé. En termes de sonorité, comme de couleur. On a dit que Stradivari ajoutait au liant de l'ambre fossile de la propolis, cette gomme rougeâtre que les abeilles recueillent sur certains bourgeons, ou encore de la coquille de crustacés…" Depuis la seconde guerre mondiale, une quinzaine d'articles scientifiques ont été publiés sur le sujet. Les réponses demeuraient toutefois partielles. L'échantillon – un ou deux instruments – restait insuffisant. Réalisés par les seuls chimistes, les travaux ne permettaient pas de s'assurer que la partie analysée était bien d'origine.

L'équipe du Musée de la musique a employé les grands moyens. Elle a intégré à son étude un luthier, Balthazar Soulier, qui avait déjà observé plus d'une soixantaine de stradivarius. Surtout, elle a assis sa recherche sur cinq instruments conservés dans la collection de l'établissement de la porte de La Villette. Quatre violons et une tête de viole d'amour – un instrument à douze cordes tombé en désuétude au XIXesiècle – réalisés entre1692 et 1724, autrement dit au cours d'une très large période. Sur chacun d'entre eux, ils ont prélevé une parcelle de vernis de la taille d'un grain de semoule. Et ils ont commencé l'expérience, ou plutôt les expériences.

D'abord ils ont passé les particules au microscope à ultraviolets. Ils ont ainsi pu déterminer que les échantillons étaient composés de deux couches avec, dans la seconde, des grains de pigments. "Mais nous ignorions encore comment étaient composées ces couches", raconte Jean-Philippe Echard.

Les échantillons ont alors pris le chemin de Saclay, dans l'Essonne, pour être analysés en lumière infrarouge dans le synchrotron Soleil. Cet immense accélérateur d'électrons permet de disposer d'une source suffisamment intense pour dresser la cartographie chimique d'un matériau. Et c'est là que l'information essentielle est tombée: le maître utilisait un simple vernis à l'huile. Pas de sous-couche dopée aux extraits de peau, d'os, ou d'esturgeon, comme le voulaient certaines légendes. "Il n'était pas non plus allé traire les abeilles de Hongrie orientale une nuit de pleine lune", s'amuse Jean-Philippe Echard. Non: pour sa base, le maître utilisait une simple huile siccative, à la façon des peintres ou des ébénistes.

Cette conclusion a été affinée au laboratoire du Museum d'histoire naturelle, à Paris. En couplant deux techniques – la chromatographie en phase gazeuse et la spectrométrie de masse – les scientifiques ont pu préciser la composition de chacune des deux couches. Dans la première, ils n'ont trouvé que de l'huile de peintre. Dans la seconde, un mélange composé de cette même huile et de résine de pin.

Restait à déterminer le contenu des grains de pigment. Cette fois, c'est au Laboratoire de dynamique, interactions et réactivité (Ladir), à Thiais (CNRS, Paris-VI) et à Dortmund, en Allemagne, que le dernier élément du rébus a été déchiffré. Et là, nouvelle surprise! Le génial Antonio n'avait pas inclus dans son vernis du rouge, mais des rouges, passant, au cours de sa vie, d'un coloris nourri d'oxyde de fer à un vermillon au sulfate de mercure pour finir avec un pigment laqué à base de cochenille. "Avec le vernis, l'intentionnalité de Stradivari n'était pas acoustique, mais visuelle", conclut Jean-Philippe Echard.

De quoi détruire le mythe ? Pas sûr. "Le luthier reste fasciné par la perfection du travail, la méthode extraordinairement aboutie", assure Balthazar Soulier. Le public écarquillera toujours les yeux devant le prix astronomique des instruments. Les meilleurs solistes, gorgés de confiance, continueront à le faire sonner comme aucun autre. Quant aux fêlés des quatre cordes, artistes ou scientifiques, ils poursuivront leur recherche éperdue du secret du vieux maître de Crémone.

Nathaniel Herzberg

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 10:46
par viaudrey
Effectivement, je viens de voir ça. Interessant :)

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 11:03
par chroí
Rhoooo la démystification!

Dire que le XIXe à vu la grande majorité des strads "revisités" par les mêmes luthiers qui prétendent lui reconnaître son génie absolu... :siffle:

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 11:07
par dayhash
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meuh c'est quoi ça un message subliminal?

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 11:09
par guigz
oops ! édité :D

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 11:35
par renaud
De toute façon, si l'on chercher "LE" secret de Stradivarius, on ne trouvera rien, car il n'y en a pas un seul.

Un détail qu'un ami luthier, passionné d'expertise, m'a confié et que je ne savais pas: Stradivarius était très réputé déjà de son temps et avait ainsi accès aux meilleurs bois. Ça peut aider, au départ, non?

Côté vernis, il m'a toujours semblé entendre dire qu'un vernis n'ajoute rien et qu'un bon vernis ne fait que "gêner le moins possible".

Comme tous les grands talents, je suppose qu'il y a surtout la coïncidence de plusieurs atout: Un luthier talentueux, que j'imagine perfectionniste et travailleur, des bons bois, etc.

Et puis, Stradivarius est une star, mais est-il vraiment "seul" à son niveau? Je ne parle ici évidemment pas de son niveau de notoriété, mais de sa qualité de luthier, et de la qualité de ses violons.

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : ven. 4 déc. 2009 14:12
par guigz
De toute façon, si l'on chercher "LE" secret de Stradivarius, on ne trouvera rien, car il n'y en a pas un seul.
Je suis bien d'accord avec toi, c'est pour ça que j'ai mis le titre du topic entre guillemets !

Et puis, Stradivarius est une star, mais est-il vraiment "seul" à son niveau? Je ne parle ici évidemment pas de son niveau de notoriété, mais de sa qualité de luthier, et de la qualité de ses violons.
J'ai vu et lu des interview de célèbres violonistes possédant (ou à qui on avait prêté) un Stradivarius qui disaient préférer jouer sur d'autres violons, ça à l'air d'être avant tout une question de prestige.

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : dim. 6 déc. 2009 11:09
par Chanterelle
;) Tous les vernis de Crémone de l'époque de Strad avaient la même base . Stradivarius envoyait son aide chez l'apothicaire du coin pour acheter son vernis et en lui recommandant de dire au commerçant de ne pas lui donner le fond du pot...
Il n'y a pas de secret Stradivarius mais il y a la recette de l'apothicaire de Crémone qui est perdue !
Il est exact que le vernis ne peut qu'altérer la sonorité s'il est mauvais.
Il n'apporte rien au son du violon.Le vernis de Strad était magnifique avec ses reflets chatoyants jaunes d'or sur fond rouge...
Nos luthiers contemporains atteignent d'aussi bons résultats en sonorité.

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : dim. 6 déc. 2009 21:53
par jépadçon
Chanterelle a écrit :;) Tous les vernis de Crémone de l'époque de Strad avaient la même base . Stradivarius envoyait son aide chez l'apothicaire du coin pour acheter son vernis et en lui recommandant de dire au commerçant de ne pas lui donner le fond du pot...
Tu es super informé!

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : dim. 6 déc. 2009 23:40
par Chanterelle
jépadçon a écrit :[
Tu es super informé![/quote]

Pas plus qu'un autre mais j'ai de bonnes lectures ;)
"Un certain Mr de Boislongpré,écrit M.Grivel,racontait qu'un descendant de Guadagnini lui avait affirmé qu'aucun luthier de Crémone ne connaissait la recette du vernis qu'il employait.C'était un droguiste-apothicaire,"speciale",qui fabriquait le vernis pour Guarnerius et Stradivarius.Le grand Stradivarius lui-même portait sa bouteille quand il allait à la provision pour que son compère ("compadre del speciale") ne lui donnât pas le fond du pot.."
Grivel est d'accord avec messieurs Mailand et Tarisio (le célèbre collectionneur découvreur du Messie),qui étaient tout à fait certains que les luthiers de Crémone ne fabriquaient pas les vernis qu'ils posaient sur leurs instruments.
D'après Auguste Tolbecque,"L'Art du Luthier" pages 144 et 145 .
On ne peut guère mettre en doute la parole de Tarisio le célèbre marchand de violons qui a passé sa vie dans les ateliers des grands luthiers crémonais et vénitiens. :amen:

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : lun. 7 déc. 2009 00:05
par pierre
une belle occasion, chanterelle, de te remercier de m'avoir fait connaitre la brève citation qui clôt tes messages. j'ai beau l'avoir lue plus de cent fois, je ne peux m'empêcher de pouffer quand mes yeux tombent dessus. Finesse et dérision, quel délicieux mélange.

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : lun. 7 déc. 2009 00:10
par jépadçon
Chanterelle a écrit :
jépadçon a écrit :[
Tu es super informé!
Pas plus qu'un autre mais j'ai de bonnes lectures ;) On ne peut guère mettre en doute la parole de Tarisio le célèbre marchand de violons qui a passé sa vie dans les ateliers des grands luthiers crémonais et vénitiens. :amen:[/quote]

Tarisio a quand même vecu presque 100 ans après Stradivari, et, à son époque " les grands luthiers crémonais et vénitiens" étaient déja tous morts
Le plus simple,en histoire, pour ne pas faire d´erreur, ou plutot reproduire les erreurs des chroniqueurs tardifs est de se baser sur du "concret", et pour cela nous n´avons que 2 lettres de Strad, dont une parle du sèchage du vernis, d´une manière ambigu, mais pas du vernis lui même.
Il est donc hasardeux de tirer des déductions sur les "on dit" comme l´emprisonnement de Del Gésù ( il semble, en revanche, qu´il existe une possibilité que Andréa, son grand-père, soit allé en prison pour meurtre) ou l´aprentissage de Bergonzi chez Stradivari qui, il semble faisait partie du "savoir populaire transmis oralement"
Les historiens modernes par oposition à ceux du XIXeme et début XXeme, comme les musicologues essaient de ne pas reproduire le "bruits de couloirs" du passé, mais plutot d´étudier les documents: successions (son testament a été découvert il y a peu de temps), inventaires, prêts, faillites, recensements de l´église, comme le font Sylvette Millot en France et Carlo Chiesa en Italie.

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : lun. 7 déc. 2009 09:08
par Chanterelle
Tarisio est né 1790,décédé en 1854.
Il a connu les plus grands luthiers et collectionneurs de son époque comme le comte Cozio di Salabue.Il était missionné par Aldric,Chanot,Vuillaume,Gand,Hart etc...qui le chargeaient d'aller dénicher tous les Stradivarius et autres crémonais possibles,en Italie et en Espagne.
Tarisio a connu les descendants du grand Giambattista Guadagnini comme Guadagnini Gaetano II (Turin) ,Guadagnini Giuseppe II et Guadagnini Felice II .
Tarisio savait de quoi il parlait.

Je connais les ouvrages de Sylvette Milliot plutôt spécialiste de la lutherie française.Carlo Chiesa,spécialiste de Guadagnini,n'a jamais que je sache retrouvé la formule miracle des vernis crémonais et vénitiens de la grande époque.Même Sacconi n'y est pas parvenu. :hello:

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : lun. 7 déc. 2009 10:42
par jépadçon
Connaître les plus grands luthiers français et anglais du 19ème n´est pas tout à fait la même chose que connaître les plus grands luthiers italiens du 18ème. Cozio di Salabue, à la fin du 18ème (avec JB Guadagnini) est déjà sans succès dans ses recherches sur les vernis de Strad.
Tarisio, n´avait donc pas plus de connaissance que nous (plutôt moins d´ailleurs) , son grand avantage était d´avoir entre les mains des instruments beaucoup plus "frais" qu´à notre époque, beaucoup moins usés et donc plus faciles à interprèter visuellement , en revanche il n´avais pas notre connaissance des archives (les premiers à faire ce travail "scientifique" sont les Hill au début du 20ème siècle) ni l´artillerie lourde de la recherche scientifique du 21ème siècle.

Re: "Le secret des stradivarius dévoilé"

Publié : lun. 7 déc. 2009 10:59
par Chanterelle
[quote="jépadçon , en revanche il n´avais pas notre connaissance des archives (les premiers à faire ce travail "scientifique" sont les Hill au début du 20ème siècle) ni l´artillerie lourde de la recherche scientifique du 21ème siècle.[/quote]

Pourquoi mettre en doute le fait que Tarisio ait pu entendre de la bouche de descendants des luthiers crémonais que leurs ancêtres ne fabriquaient pas le vernis eux-mêmes ? Il n'avait aucun intérêt à dire cela,c'est même le contraire qui lui aurait permis de faire monter les prix encore plus en évoquant un secret que Stradivarius aurait été seul à connaître !
Les recherches modernes sur les successions,les traces épistolaires,les archives municipales,sont très intéressantes mais jusqu'à présent rien de nouveau sur les vernis.L'histoire de Tarisio paraît la plus vraisemblable.Les luthiers vénitiens se fournissaient également chez leur apothicaire d'après les mêmes sources.
Ceci dit l'ouvrage de Sylvette Milliot sur "Documents inédits sur les luthiers parisiens du XVIII°siècle" est passionnant.
Mais deux lettres seulement de Stradivarius,ne résolvent pas le problème du vernis !