La sonate à Bridgetower (SONATA MULATTICA)
Emmanuel Dongala
Édition Actes Sud 2017
Roman
334 p
https://www.actes-sud.fr/catalogue/litt ... page=0%2C1
Mozart à 30 ans, il est au fait de sa réputation et tout le monde connaît son histoire d'enfant prodige. Frederick de Augustus Bridgetower, homme noir de la Barbade qui se fait passer pour un prince d'Abyssinie, a lui aussi un fils violoniste et virtuose : George Augustus Polgreen, élève d'Haydn et métis. Prenant exemple sur Léopold Mozart, il a l’intention d’exhiber son fils dans toutes les cours d'Europe pour faire fortune.
L'histoire commence à Paris en 1789, une semaine avant la convocation des états généraux. Le jeune garçon se produit en concert en jouant à 9 ans un concerto de Viotti, provoquant l'admiration de Kreutzer, qui est le plus grand violoniste de son époque.
L'histoire y est clairement romancée, mais elle se base sur un fait historique : la sonate n°9 pour violon (opus 47 en la majeur) de Beethoven ne fut pas en premier dédicacée à Kreutzer, mais d’abords à ce jeune métis extraordinaire. Ils la créèrent ensemble à Vienne, alors que Kreutzer, ne l’appréciant pas, refusa de la jouer ! Et pourtant, c'est avec son nom qu'elle entrera dans l'histoire.
Les pérégrinations de ce jeune prodige nous emmèneront visiter les cours de France, d’Angleterre, d’Autriche et y rencontrer les plus grands musiciens de l’époque. Nous faisant découvrir la très courte amitié qui a pu naître entre le jeune Bridgetower et Beethoven, ainsi que la raison de cette double dédicace si particulière.
L’auteur en profite pour nous conter l’histoire de l’esclavage (ou plutôt des esclavages) et nous permet de mieux comprendre comment cela était perçu par la société de l’époque. Cela apporte au roman un style moins dynamique mais historiquement plus intéressant.
Un excellent sujet, un bon livre, mais avec quelques longueurs. Rien que pour le final qui raconte les conditions rocambolesque de la composition et création de cette œuvre, ce livre mérite d’être lu.
Note : le livre est parsemé de fac-similé de portrait et d’originaux de textes ou de partitions qui sont un vrai plus pour mieux visualiser ce dont on parle.
« George n’avait pas quitté la reine des yeux depuis le moment où elle était entrée dans la salle [...]. Plus encore, ses cheveux bruns foncés, torsadé et roulés en chignon au-dessus de sa tête lui firent aussitôt repenser à sa mère. [...] cela lui permit de se concentrer, de trouver la justesse de phrasé de l’adagio et de tirer de son instrument des sons d’une couleur clair et vibrante. Pas d’ornementation excessive ni de brillance ostentatoire, mais un legato mélodique épuré, d’une intensité soutenue. Il ne sut pas à quel moment il ne jouait plus pour une seule femme, mais pour deux [...]. »
« Plus les mois passaient, plus il s’apercevait que George lui échappait ; il lui semblait qu’il grandissait contre lui. George était le fils, celui de ses deux garçons qu’il avait choisi d’élever pour réaliser son rêve [...] faire fortune et briller en société. Il l’avait traîné avec lui sur toutes les routes d’Europe, [...] il avait fait de lui le Wolfgang Mozart de sa génération [...]. Et voilà que ce fils regimbait ! [...] un vide s’ouvrit en lui. »
« Il préféra plutôt rebondir sur un nom que Beethoven avait prononcé : Kreutzer !
Je connais Kreutzer, dit-il. Je l’ai rencontré à Paris. Un grand violoniste.[...]
Après Kreutzer, c’est moi qui vais jouer avec toi, dit Georges. J’espère que tu me trouveras très bien aussi, ajouta-t-il en plaisantant.
Je n’en doute pas un instant. Je te le dis en toute sincérité, tu es le seul violoniste que je connaisse qui soit du même niveau que Kreutzer. »
« Beethoven s’installa au piano. Georges lui tendit l’exemplaire unique du deuxième mouvement. Après l’avoir posé sur le pupitre de son instrument, il se tourna vers Georges. Leurs regards se croisèrent et demeurèrent fixés l’un sur l’autre pendant quelques instants, incapables de se détacher, comme tenus par une force d’attraction intense, quasi-érotique. Deux complices partageant un secret et s’apprêtant à le révéler au monde. [...] ils allaient présenter à ce public cultivé quelque chose de nouveau, hors des sentiers battus, qui bouleverserait les idées reçues et ferait voler en éclats le cadre formel et tonal de la sonate tel que Haydn et Mozart le leur avait légué. »
« sonata mulattica composta per il mulatto Brischdauer, gran pazzo e compositore mulattico. »
Pour prolonger le plaisir de ce livre, je vous propose d’écouter cette magnifique sonate.
La première version est caractéristique du style du XXe siècle avec bien sûr David Oïstrakh. C’est une version culte, mais qui représente quand même un style d’une autre époque :
https://m.youtube.com/watch?v=hxBNxTpKgsY
Ensuite des versions plus actuelles :
Joshua Bell
https://m.youtube.com/watch?v=8NOF_ueaxJ4
Pinchas Zukerman
https://m.youtube.com/watch?v=6WObiXNMlpA
Et pour finir mon coup de cœur avec la version de Kopatchinskaja . C’est une jeune moldave qui y met un niveau d’interprétation très poussé. Du coup, c’est techniquement moins pur, mais que d’émotions ! J’adore

et dans l’intention cela me semble bien correspondre à la dynamique du duo Beethoven / Bridgetower de la fin du livre.
https://m.youtube.com/watch?v=OF9fneQ50Us