Marc, je te réponds non pas pour essayer d'avoir le dernier mot mais pour poursuivre cette discussion passionnante. Nous sommes pile dans mon domaine scientifique mais je ne suis pas luthier, tu es luthier il me semble? Voilà un cocktail intéressant.
Je pense vraiment que tu cherches des complications en disant que la théorie de l'élasticité seule ne suffit pas pour décrire le comportement parce que je pense que tu mélange la notion de sollicitation d'un matériau et la notion de réponse mécanique du matériau. Et aussi les notions d'oscillation libres et forcées.
La sollicitation peut être statique ou dynamique, périodique ou non. Nous sommes dans le cas d'une sollicitation périodique (dent de scie).
En réponse à une sollicitation quelle qu'elle soit, le matériau peut soit se déformer immédiatement sans retard de manière réversible ou irréversible, soit se déformer avec du retard par rapport au moment de la sollicitation, ça c'est la viscosité.
Même si la sollicitation dépend du temps, les lois qui décrivent le comportement du matériau peuvent être des lois indépendantes du temps. La théorie de l'élasticité concerne les déformations « élastiques » des solides, statiques ou dynamiques, c'est-à-dire les déformations réversibles, généralement faibles, c'est le cas par excellence des vibrations. La réponse des matériaux purement élastiques ne dépend pas du temps (ou de la fréquence, lors d'expériences dynamiques), alors que la réponse à une sollicitation d'un matériau viscoélastique dépend du temps, que ce soit en fluage ou en relaxation de contrainte. Le bois d'un instrument de musique vibre en petites déformations et tu conviendras qu'il n'y a pas de déformation irréversible puisque le violon a les mêmes dimensions avant et après un concerto. Il n'y a pas non plus de viscosité, sinon c'est
pareil, le violon finirait par se déformer en jouant. Tu parles de thixotropie mais ceci est une propriété très particulière des matériaux visqueux: sous contrainte (ou gradient de vitesse) constante, la viscosité diminue au cours du temps. Le bois est très loin de présenter cette propriété.
Marc Genevrier a écrit :
les explications données plus haut me donnent l'impression que le fond serait considéré comme quelque chose d'absolument rigide (par ex. ce serait à l'âme de se déformer pour suivre les vibrations de la table).
Là c'et vrai que la phrase était mal tournée. Le fond se déforme, ça n'existe pas un matériau qui ne se déforme pas. Donc c'est en accord avec Schleske. Mais le fond et les éclisses sont en érable, la table est en épicéa. Je pense que tout cela se comporte comme un tambour, la table est la membrane, le reste la caisse du tambour. Et même la caisse du tambour vibre, mais moins que la membrane. Sur le violon, la différence table-fond est moins grande donc le fond se déforme plus que la caisse d'un tambour. Est-tu d'accord avec moi pour dire que l'érable du fond et des éclisses forment un ensemble plus rigide (pas infiniment rigide) que la table?
L'âme aussi se déforme, tout se déforme, mais très peu. Les animations de Schleske n'étudient pas l'âme, il l'a représenté par un trait mais en réalité elle est aussi une petite structure vibrante avec ses modes et fréquences propres.
Marc Genevrier a écrit :je reste persuadé qu'il y a une remontée du signal, une réaction de la part de la caisse. Hormis les tout premières millisecondes (et même moins sans doute) du coup d'archet, où les vibrations ne sont pas encore remontées, on a par la suite une interaction entre le signal que continue d'envoyer l'archet et la façon dont la caisse réagit aux signaux déjà envoyés quelques millisecondes avant.
Ca ça s'appelle de la vibration forcée par rapport à la vibration libre. Schleske établie ses figures de mode shape en oscillations libres (essai au marteau d'impact). En vibration forcée, la réponse du matériau suit d'abord un transitoire, c'est ce que tu appelles les premières millisec. En suite il s'établit un régime permanent ou les vibrations créées à l'instant t interfèrent avec celles créées à l'instant t-dt. C'est ce que tu appelles la remontée du signal.
Mais tout ceci reste de l'élasticité, je t'assure. Si tu joues une note exactement à une fréquence propre, il y a résonance et l'une des figures de Schleske est obtenue. Si l'amortissement est faible, le matériau casse (comme un pont suspendu traversé par un régiment au pas). Mais grâce au coeff d'amortissement, on peux faire vibrer le violon sur une de ses fréquences propres sans le casser. Si la fréquence de la note est différente d'une fréquence propre, la déformée du violon sera une combinaison de tous les mode shape.
Si l'on faisait une simulation numérique, on retrouverait les animations de Schleske en utilisant une loi linéaire uniquement.